Qui sont des énigmes vivantes.
C’est tout un concept. Bien flou, bien opaque, même fou… foutraque. Chloé ne sait pas du tout qui sont « les autres » autour d’elle. Elle n’en a pas la moindre idée ! Ou plutôt, elle sait qu’elle en a une erronée. Elle n’a pas accès à la véritable, celle qu’on cache sous les rideaux ou sous la table. La complète, la complexe. Pour connaitre vraiment « les autres », il faudrait que la jeune femme soit dans leur peau, dans leur tête, dans leur cœur. Il faudrait qu’elle soit, à la fois, leur boss, leur moitié, leur gosse, leur passé, leur culotte, leur secret, leur iPhone, leur parent, leur cerveau, leur brosse à dents, leur ligne de métro, leurs chaussures, leur miroir de la salle de bain, leurs blessures, leur âme, leur quotidien… tout en même temps. Ce qui n’est possible que dans un épisode de Black Mirror alors Chloé ne saura jamais qui sont « les autres », avec qui pourtant elle partage cette terre et cette époque. Et elle ira encore plus loin : avec qui elle partage, parfois, son temps, sa vie, son corps et ses sentiments. Ainsi, partant de ce principe, la jeune pousse sait qu’il est possible qu’elle ne sache pas vraiment qui est son voisin. Son collègue. Son ami. Ou même, son amant ou sa famille. Alors, parfois, quand la jeune femme pousse à l’extrême son raisonnement, elle a du mal à comprendre la légitimité de ses experts, en tout et en rien, qu’on invite sur les plateaux télé et qui affirment connaitre cela, comprendre ceci, alors qu’eux aussi sont incapables de se mettre dans la peau d’une autre personne quelques instants. Comment peuvent-ils véritablement comprendre une personne qui lutte, qui souffre ou qui crève de faim à l’autre bout de la planète ? Malgré ses mystères et ses frontières, comment peuvent-ils comprendre le monde ? Son origine, son évolution, sa destination ? Comment peuvent-ils comprendre les guerres et les génocides ? L’injustice ? L’inégalité ? L’ingérence ? L’inaction ? Quant elle, elle peine à piger l’humeur de ses compagnons. L’humeur de ses proches. L’humeur de ses voisins. L’humeur des gens. Le caractère des gens. La présence des gens. Ou leur absence.
La jeune pousse insiste, elle se reconnait peu en « les autres » et ce, parfois, à son plus grand regret. Car s’il est flatteur de se sentir unique, c’est surtout perturbant. Et excluant. À tout moment, Chloé peut sentir la solitude serrait ses dents sur sa peau nue. Souvent, elle se sent étrangère aux événements, comme si elle était improbable. Déconvenue. Vulnérable. Incongrue. Peu désirable. Surtout pour le marché du travail. Lui qui ne bande que devant l’obéissance, la politesse, le scolaire, l’attendu. Tout ce qu’elle n’est pas. Elle, elle est farfelue, spontanée, imprévisible et indisciplinée. Elle a essayé pourtant mais rien n’y fait : elle n’arrive pas à se formater. A copier par mimétisme « les autres ». En toute transparence, la jeune pousse les pense souvent fou parce que, selon elle, ils s’enferment eux-mêmes dans le zoo. Ils signent leur perte. Elle, elle n’y arrive pas. Tout ce qu’elle veut, c’est signer son livre. Que ça soit le début de la fin. La fin d’une vie chiante qui manque de chien. La jeune femme ne veut plus de réveils forcés qui ne riment à rien. Elle ne veut plus. Elle ne peut plus. Un refus catégorique qui lui inspire cet écrit sur Instagram.
« Y’a comme un je-ne-sais-quoi, un truc bien sauvage et touffu qui est en train de bouffer l’image et brouiller la vue. Je l’ai toujours eu en moi, cet instinct, ce feu sans foi ni loi mais il est en train de prendre le dessus, de devenir une seconde nature. Il grignote mon quotidien et ma zone de confort, à coup de reins il me démontre qu’il est le plus fort, il m’avale crue comme une plante carnivore. Certes, je reste bien éduquée, je soigne mon vocabulaire, je cultive l’élégance dont j’ai hérité, je connais les bonnes manières mais jamais je ne lutterai contre cette folie douce qui m’anime et me pousse à dépasser ce mime de la normalité. Je n’veux pas d’une vie bien rangée ni d’être bien coiffée, je n’veux pas d’une chatte bien épilée ni d’un jardin lisse et limité. Je me sens bien dans les profondeurs de la jungle, dans ce champ des possibles et là où certain voit du bordel, du laisser-aller ou des mauvaises herbes, moi je ne vois que les origines de l’infini et une direction bien distincte, sans appel. De toute façon, je suis trop envahie et habitée pour faire marche arrière. Ce n’est pas un caprice d’enfant roi, ce n’est pas de l’inconscience, c’est avoir confiance en ses racines et ses doigts, c’est se montrer téméraire. Jamais je n’abandonnerai ma part d’ombre, elle me rend singulière, j’aime sa violence, son cri spontané et vulgaire. J’aime son impatience, sa sève et surtout sa liberté anti-scolaire qui ne connaît aucune honte et m’entraîne sur d’autres terres. Depuis bien longtemps, la graine est semée et quand on sait que Chloé signifie « jeune pousse » en grecque, même si mes origines sont Ukrainiennes, on peut se dire qu’il est bien porté ».
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